Journée d’étude et de recherche sur le yoga
En même temps que se tient au Musée Guimet l’exposition « Yoga. Ascètes, yogis et soufis », une grande première en France et en Europe, issue d’une idée d’Ysé Tardan-Masquelier, deux journées d’étude importantes autour du yoga se sont déroulées.
La première a eu lieu le 11 mars à l’École Française d’Extrême Orient. Coordonnée par Isabelle Poujol, responsable de la photothèque et de la communication de l’EFEO et ancienne de l’EFY, la journée s’intitulait « Nouvelles recherches dans la littérature sanskrite sur le yoga ».
Elle rassemblait la fine fleur des chercheurs internationaux, dont Daniela Bevilacqua, Dominic Goodall, Csaba Kiss, James Mallinson, et d’autres collègues ayant contribué au « Hatha Yoga Project ». Imposant et novateur, financé par le Conseil Européen de la Recherche, piloté par la School of Oriental and African Studies (SOAS, université de Londres), le « Hatha Yoga Project », auquel étaient aussi rattachés des chercheurs de l’EFEO de Pondichéry, vient de s’achever (2015-2020).
Son objectif était de revisiter certaines sources du hatha-yoga afin de mieux comprendre son histoire, et par la même occasion, de découvrir et de traduire de nouveaux traités. Il a été porté par un travail pluridisciplinaire, qui a permis d’associer à des sciences « abstraites » comme la philologie une vision plus concrète des yogis, à travers l’apport ethnographique.
Un certain nombre de ses acteurs, toujours sous la direction de James Mallinson, ont désormais rejoint leurs collègues de l’université de Marbourg pour participer à un nouveau projet sur l’analyse critique et la transmission de la Hatha-Yoga Pradipika.
Ainsi la journée d’étude de l’EFEO présentait les nouvelles orientations que prennent aujourd’hui les recherches sur le yoga – ici essentiellement textuelles – à partir d’ouvrages aussi connus que la Hatha-Yoga Pradipika ou les Yoga Sutras, ou moins connus comme les Sivadharmamottara, Dharmaputrika, Vrasarasangraha et Yogabhaskara (couvrant une époque allant du VII au XVI siècle).
Dans une ambiance chaleureuse, onze conférences successives ont permis à un public d’auditeurs présents ou en ligne d’appréhender un tant soit peu l’état de la recherche et de faire connaissance avec des chercheuses et chercheurs aussi passionnés qu’érudits et dévoués.
Les chercheurs universitaires s’intéressent de plus en plus au hatha-yoga
Pour commencer James Mallinson a montré que les sources du hatha-yoga, contrairement à ce que l’on pensait, n’étaient peut-être pas shivaïtes, mais plutôt vishnouites ; il s’est appuyé, pour le démontrer sur le Yogabhaskara, un texte dévotionnel du XVI° siècle. Puis Nils Jacob Liersch, de l’université de Marbourg, a rendu compte avec bonne humeur de ses tribulations pour s’orienter dans la Tattvayogabindu de Ramacandra, dont les contenus semblaient s’entêter à contredire les attentes suscitées par les annonces liminaires … Dominic Goodall, basé à l’Institut Français de Pondichéry, a détaillé les enseignements yogiques rassemblés dans le chapitre 10 du Śivadharmottara (XVII° siècle).
Tandis que Christèle Barois, actuellement à l’Institut d’Études Avancées de Nantes, a affirmé que l’étude de la Dharmaputrika Samhita (un manuel de yoga composé au VII° siècle probablement à partir de matériaux plus anciens) promettait de belles découvertes concernant l’histoire du yoga.
Csaba Kiss, qui travaille sur un projet financé par l’Europe (l’ERC Dharma project / L’« Orientale », Naples), a parlé des enseignements du Vrsasarasamgraha. Jurgen Hanneder, de Marbourg, témoignait de la manière dont la recherche philologique est tributaire de la technologie (fragilités des manuscrits en comparaison des livres imprimés, fragilité des bases de données informatisées ,…) concluant que de toutes les technologies, l’impression restait peut-être la plus sûre garante de la transmission. Sa collègue Mitsuyo Demoto Hahn, de l’Université de Marbourg, a donné un aperçu des recherches statistiques et méthodologiques en cours pour comparer une centaine de versions de la Hatha-Yoga Pradipika retrouvées dans les diverses bibliothèques du sous-continent et du monde.
L’après-midi, Andrea Acri (École Pratique des Hautes Études, Paris) a montré en quoi le yoga shivaïte, d’inspiration dévotionnelle et recherchant l’union, différait de celui de Patanjali, sous le signe de kaivalya, « l’isolement ».
Ruth Westoby, de la SOAS, a évoqué Kundalini et Candali dans les textes shivaïtes et du bouddhisme vajrayana. Quant à Lubomír Ondračka (Faculté des arts, Université Charles de Prague), il a montré de manière très vivante et drôle, que nous ne connaissions encore qu’une infime minorité de textes de yoga, et qu’il fallait en particulier donner plus de place aux textes populaires ou en langues vernaculaires.
Pour conclure la journée sur une note différente, faisant la transition de la philologie à l’ethnologie, Daniela Bevilacqua énumérait les pistes de recherche qui lui sembleraient prometteuses. Pistes issues de son expérience de terrain auprès des sadhus. Rejoignant Lubomir Ondracka, elle a aussi pointé l’intérêt qu’il pourrait y avoir à mener des recherches textuelles, au-delà du sanskrit, dans les langues vernaculaires de l’Inde.
Ce fut enfin l’occasion de présenter les deux premières publications communes de l’EFEO, de L’Institut Français de Pondichery et du Hatha Yoga Project :
– The Amrtasiddhi and Amrtasiddhimula de Peter-Daniel Szanto et James Mallinson
– The Yoga of the Matsyendrasamhita de Csaba Kiss
Une exposition de photos d’ascètes est proposée à l’entrée de la bibliothèque de l’EFEO et à l’intérieur, jusqu’au 2 juin 2022. La visite est gratuite et peut aisément se combiner avec la visite de l’exposition du Musée Guimet.
Les pratiques de dévotion d’hier et d’aujourd’hui pourront ainsi entrer en résonance.
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